Jane Austen

Orgueil et Préjugés

(Edition bilingue: français-anglais)
 
 
 
 
 
 
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2017 OK Publishing

 
ISBN 978-80-272-3305-2

Table des matières - Table of Contents


Orgueil et Préjugés

Pride and Prejudice
English

Orgueil et Préjugés

Table des matières

Contenu

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

XI

XII

XIII

XIV

XV

XVI

XVII

XVIII

XIX

XX

XXI

XXII

XXIII

XXIV

XXV

XXVI

XXVII

XXVIII

XXIX

XXX

XXXI

XXXII

XXXIII

XXXIV

XXXV

XXXVI

XXXVII

XXXVIII

XXXIX

XL

XLI

XLII

XLIII

XLIV

XLV

XLVI

XLVII

XLVIII

XLIX

L

LI

LII

LIII

LIV

LV

LVI

LVII

LVIII

LIX

LX

LXI

English

I

Table des matières

C’est une vérité universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’une belle fortune doit avoir envie de se marier, et, si peu que l’on sache de son sentiment à cet égard, lorsqu’il arrive dans une nouvelle résidence, cette idée est si bien fixée dans l’esprit de ses voisins qu’ils le considèrent sur-le-champ comme la propriété légitime de l’une ou l’autre de leurs filles.

– Savez-vous, mon cher ami, dit un jour Mrs. Bennet à son mari, que Netherfield Park est enfin loué ?

Mr. Bennet répondit qu’il l’ignorait.

– Eh bien, c’est chose faite. Je le tiens de Mrs. Long qui sort d’ici.

Mr. Bennet garda le silence.

– Vous n’avez donc pas envie de savoir qui s’y installe ! s’écria sa femme impatientée.

– Vous brûlez de me le dire et je ne vois aucun inconvénient à l’apprendre.

Mrs. Bennet n’en demandait pas davantage.

– Eh bien, mon ami, à ce que dit Mrs. Long, le nouveau locataire de Netherfield serait un jeune homme très riche du nord de l’Angleterre. Il est venu lundi dernier en chaise de poste pour visiter la propriété et l’a trouvée tellement à son goût qu’il s’est immédiatement entendu avec Mr. Morris. Il doit s’y installer avant la Saint-Michel et plusieurs domestiques arrivent dès la fin de la semaine prochaine afin de mettre la maison en état.

– Comment s’appelle-t-il ?

– Bingley.

– Marié ou célibataire ?

– Oh ! mon ami, célibataire ! célibataire et très riche ! Quatre ou cinq mille livres de rente ! Quelle chance pour nos filles !

– Nos filles ? En quoi cela les touche-t-il ?

– Que vous êtes donc agaçant, mon ami ! Je pense, vous le devinez bien, qu’il pourrait être un parti pour l’une d’elles.

– Est-ce dans cette intention qu’il vient s’installer ici ?

– Dans cette intention ! Quelle plaisanterie ! Comment pouvez-vous parler ainsi ?... Tout de même, il n’y aurait rien d’invraisemblable à ce qu’il s’éprenne de l’une d’elles. C’est pourquoi vous ferez bien d’aller lui rendre visite dès son arrivée.

– Je n’en vois pas l’utilité. Vous pouvez y aller vous-même avec vos filles, ou vous pouvez les envoyer seules, ce qui serait peut-être encore préférable, car vous êtes si bien conservée que Mr. Bingley pourrait se tromper et égarer sur vous sa préférence.

– Vous me flattez, mon cher. J’ai certainement eu ma part de beauté jadis, mais aujourd’hui j’ai abdiqué toute prétention. Lorsqu’une femme a cinq filles en âge de se marier elle doit cesser de songer à ses propres charmes.

– D’autant que, dans ce cas, il est rare qu’il lui en reste beaucoup.

– Enfin, mon ami, il faut absolument que vous alliez voir Mr. Bingley dès qu’il sera notre voisin.

– Je ne m’y engage nullement.

– Mais pensez un peu à vos enfants, à ce que serait pour l’une d’elles un tel établissement ! Sir William et lady Lucas ont résolu d’y aller uniquement pour cette raison, car vous savez que, d’ordinaire, ils ne font jamais visite aux nouveaux venus. Je vous le répète. Il est indispensable que vous alliez à Netherfield, sans quoi nous ne pourrions y aller nous-mêmes.

– Vous avez vraiment trop de scrupules, ma chère. Je suis persuadé que Mr. Bingley serait enchanté de vous voir, et je pourrais vous confier quelques lignes pour l’assurer de mon chaleureux consentement à son mariage avec celle de mes filles qu’il voudra bien choisir. Je crois, toutefois, que je mettrai un mot en faveur de ma petite Lizzy.

– Quelle idée ! Lizzy n’a rien de plus que les autres ; elle est beaucoup moins jolie que Jane et n’a pas la vivacité de Lydia.

– Certes, elles n’ont pas grand-chose pour les recommander les unes ni les autres, elles sont sottes et ignorantes comme toutes les jeunes filles. Lizzy, pourtant, a un peu plus d’esprit que ses sœurs.

– Oh ! Mr. Bennet, parler ainsi de ses propres filles !... Mais vous prenez toujours plaisir à me vexer ; vous n’avez aucune pitié pour mes pauvres nerfs !

– Vous vous trompez, ma chère ! J’ai pour vos nerfs le plus grand respect. Ce sont de vieux amis : voilà plus de vingt ans que je vous entends parler d’eux avec considération.

– Ah ! vous ne vous rendez pas compte de ce que je souffre !

– J’espère, cependant, que vous prendrez le dessus et que vous vivrez assez longtemps pour voir de nombreux jeunes gens pourvus de quatre mille livres de rente venir s’installer dans le voisinage.

– Et quand il en viendrait vingt, à quoi cela servirait-il, puisque vous refusez de faire leur connaissance ?

– Soyez sûre, ma chère, que lorsqu’ils atteindront ce nombre, j’irai leur faire visite à tous.


Mr. Bennet était un si curieux mélange de vivacité, d’humeur sarcastique, de fantaisie et de réserve qu’une expérience de vingt-trois années n’avait pas suffi à sa femme pour lui faire comprendre son caractère. Mrs. Bennet elle-même avait une nature moins compliquée : d’intelligence médiocre, peu cultivée et de caractère inégal, chaque fois qu’elle était de mauvaise humeur elle s’imaginait éprouver des malaises nerveux. Son grand souci dans l’existence était de marier ses filles et sa distraction la plus chère, les visites et les potins.

English

II

Table des matières

Mr. Bennet fut des premiers à se présenter chez Mr. Bingley. Il avait toujours eu l’intention d’y aller, tout en affirmant à sa femme jusqu’au dernier moment qu’il ne s’en souciait pas, et ce fut seulement le soir qui suivit cette visite que Mrs. Bennet en eut connaissance. Voici comment elle l’apprit : Mr. Bennet, qui regardait sa seconde fille occupée à garnir un chapeau, lui dit subitement :

– J’espère, Lizzy, que Mr. Bingley le trouvera de son goût.

– Nous ne prenons pas le chemin de connaître les goûts de Mr. Bingley, répliqua la mère avec amertume, puisque nous n’aurons aucune relation avec lui.

– Vous oubliez, maman, dit Elizabeth, que nous le rencontrerons en soirée et que Mrs. Long a promis de nous le présenter.

– Mrs. Long n’en fera rien ; elle-même a deux nièces à caser. C’est une femme égoïste et hypocrite. Je n’attends rien d’elle.

– Moi non plus, dit Mr. Bennet, et je suis bien aise de penser que vous n’aurez pas besoin de ses services.

Mrs. Bennet ne daigna pas répondre ; mais, incapable de se maîtriser, elle se mit à gourmander une de ses filles :

– Kitty, pour l’amour de Dieu, ne toussez donc pas ainsi. Ayez un peu pitié de mes nerfs.

– Kitty manque d’à-propos, dit le père, elle ne choisit pas le bon moment pour tousser.

– Je ne tousse pas pour mon plaisir, répliqua Kitty avec humeur. Quand doit avoir lieu votre prochain bal, Lizzy ?

– De demain en quinze.

– Justement ! s’écria sa mère. Et Mrs. Long qui est absente ne rentre que la veille. Il lui sera donc impossible de nous présenter Mr. Bingley puisqu’elle-même n’aura pas eu le temps de faire sa connaissance.

– Eh bien, chère amie, vous aurez cet avantage sur Mrs. Long : c’est vous qui le lui présenterez.

– Impossible, Mr. Bennet, impossible, puisque je ne le connaîtrai pas. Quel plaisir trouvez-vous à me taquiner ainsi ?

– J’admire votre réserve ; évidemment, des relations qui ne datent que de quinze jours sont peu de chose, mais si nous ne prenons pas cette initiative, d’autres la prendront à notre place. Mrs. Long sera certainement touchée de notre amabilité et si vous ne voulez pas faire la présentation, c’est moi qui m’en chargerai.

Les jeunes filles regardaient leur père avec surprise. Mrs. Bennet dit seulement :

– Sottises que tout cela.

– Quel est le sens de cette énergique exclamation ? s’écria son mari, vise-t-elle les formes protocolaires de la présentation ? Si oui, je ne suis pas tout à fait de votre avis. Qu’en dites-vous, Mary ? vous qui êtes une jeune personne réfléchie, toujours plongée dans de gros livres ?

Mary aurait aimé faire une réflexion profonde, mais ne trouva rien à dire.

– Pendant que Mary rassemble ses idées, continua-t-il, retournons à Mr. Bingley.

– Je ne veux plus entendre parler de Mr. Bingley ! déclara Mrs. Bennet.

– J’en suis bien fâché ; pourquoi ne pas me l’avoir dit plus tôt ? Si je l’avais su ce matin je me serais certainement dispensé d’aller lui rendre visite. C’est très regrettable, mais maintenant que la démarche est faite, nous ne pouvons plus esquiver les relations.

La stupéfaction de ces dames à cette déclaration fut aussi complète que Mr. Bennet pouvait le souhaiter, celle de sa femme surtout, bien que, la première explosion de joie calmée, elle assurât qu’elle n’était nullement étonnée.

– Que vous êtes bon, mon cher ami ! Je savais bien que je finirais par vous persuader. Vous aimez trop vos enfants pour négliger une telle relation. Mon Dieu, que je suis contente ! Et quelle bonne plaisanterie aussi, d’avoir fait cette visite ce matin et de ne nous en avoir rien dit jusqu’à présent !

– Maintenant, Kitty, vous pouvez tousser tant que vous voudrez, déclara Mr. Bennet. Et il se retira, un peu fatigué des transports de sa femme.

– Quel excellent père vous avez, mes enfants ! poursuivit celle-ci, lorsque la porte se fut refermée. – Je ne sais comment vous pourrez jamais vous acquitter envers lui. À notre âge, je peux bien vous l’avouer, on ne trouve pas grand plaisir à faire sans cesse de nouvelles connaissances. Mais pour vous, que ne ferions-nous pas !... Lydia, ma chérie, je suis sûre que Mr. Bingley dansera avec vous au prochain bal, bien que vous soyez la plus jeune.

– Oh ! dit Lydia d’un ton décidé, je ne crains rien ; je suis la plus jeune, c’est vrai, mais c’est moi qui suis la plus grande.

Le reste de la soirée se passa en conjectures ; ces dames se demandaient quand Mr. Bingley rendrait la visite de Mr. Bennet, et quel jour on pourrait l’inviter à dîner.

English

III

Table des matières

Malgré toutes les questions dont Mrs. Bennet, aidée de ses filles, accabla son mari au sujet de Mr. Bingley, elle ne put obtenir de lui un portrait qui satisfît sa curiosité. Ces dames livrèrent l’assaut avec une tactique variée : questions directes, suppositions ingénieuses, lointaines conjectures. Mais Mr. Bennet se déroba aux manœuvres les plus habiles, et elles furent réduites finalement à se contenter des renseignements de seconde main fournis par leur voisine, lady Lucas.

Le rapport qu’elle leur fit était hautement favorable : sir William, son mari, avait été enchanté du nouveau voisin. Celui-ci était très jeune, fort joli garçon, et, ce qui achevait de le rendre sympathique, il se proposait d’assister au prochain bal et d’y amener tout un groupe d’amis. Que pouvait-on rêver de mieux ? Le goût de la danse mène tout droit à l’amour ; on pouvait espérer beaucoup du cœur de Mr. Bingley.

– Si je pouvais voir une de mes filles heureusement établie à Netherfield et toutes les autres aussi bien mariées, répétait Mrs. Bennet à son mari, je n’aurais plus rien à désirer.

Au bout de quelques jours, Mr. Bingley rendit sa visite à Mr. Bennet, et resta avec lui une dizaine de minutes dans la bibliothèque. Il avait espéré entrevoir les jeunes filles dont on lui avait beaucoup vanté le charme, mais il ne vit que le père. Ces dames furent plus favorisées car, d’une fenêtre de l’étage supérieur, elles eurent l’avantage de constater qu’il portait un habit bleu et montait un cheval noir.

Une invitation à dîner lui fut envoyée peu après et, déjà, Mrs. Bennet composait un menu qui ferait honneur à ses qualités de maîtresse de maison quand la réponse de Mr. Bingley vint tout suspendre : « Il était obligé de partir pour Londres le jour suivant, et ne pouvait, par conséquent, avoir l’honneur d’accepter... etc... »

Mrs. Bennet en fut toute décontenancée. Elle n’arrivait pas à imaginer quelle affaire pouvait appeler Mr. Bingley à Londres si tôt après son arrivée en Hertfordshire. Allait-il, par hasard, passer son temps à se promener d’un endroit à un autre au lieu de s’installer convenablement à Netherfield comme c’était son devoir ?... Lady Lucas calma un peu ses craintes en suggérant qu’il était sans doute allé à Londres pour chercher les amis qu’il devait amener au prochain bal. Et bientôt se répandit la nouvelle que Mr. Bingley amènerait avec lui douze dames et sept messieurs. Les jeunes filles gémissaient devant un nombre aussi exagéré de danseuses, mais, la veille du bal, elles eurent la consolation d’apprendre que Mr. Bingley n’avait ramené de Londres que ses cinq sœurs et un cousin. Finalement, lorsque le contingent de Netherfield fit son entrée dans la salle du bal, il ne comptait en tout que cinq personnes : Mr. Bingley, ses deux sœurs, le mari de l’aînée et un autre jeune homme.

Mr. Bingley plaisait dès l’abord par un extérieur agréable, une allure distinguée, un air avenant et des manières pleines d’aisance et de naturel. Ses sœurs étaient de belles personnes d’une élégance incontestable, et son beau-frère, Mr. Hurst, avait l’air d’un gentleman, sans plus ; mais la haute taille, la belle physionomie, le grand air de son ami, Mr. Darcy, aidés de la rumeur qui cinq minutes après son arrivée, circulait dans tous les groupes, qu’il possédait dix mille livres de rente, attirèrent bientôt sur celui-ci l’attention de toute la salle.

Le sexe fort le jugea très bel homme, les dames affirmèrent qu’il était beaucoup mieux que Mr. Bingley, et, pendant toute une partie de la soirée, on le considéra avec la plus vive admiration.

Peu à peu, cependant, le désappointement causé par son attitude vint modifier cette impression favorable. On s’aperçut bientôt qu’il était fier, qu’il regardait tout le monde de haut et ne daignait pas exprimer la moindre satisfaction. Du coup, toute son immense propriété du Derbyshire ne put empêcher qu’on le déclarât antipathique et tout le contraire de son ami.

Mr. Bingley, lui, avait eu vite fait de se mettre en rapport avec les personnes les plus en vue de l’assemblée. Il se montra ouvert, plein d’entrain, prit part à toutes les danses, déplora de voir le bal se terminer de si bonne heure, et parla d’en donner un lui-même à Netherfield. Des manières si parfaites se recommandent d’elles-mêmes. Quel contraste avec son ami !... Mr. Darcy dansa seulement une fois avec Mrs. Hurst et une fois avec miss Bingley. Il passa le reste du temps à se promener dans la salle, n’adressant la parole qu’aux personnes de son groupe et refusant de se laisser présenter aux autres. Aussi fut-il vite jugé. C’était l’homme le plus désagréable et le plus hautain que la terre eût jamais porté, et l’on espérait bien qu’il ne reparaîtrait à aucune autre réunion.

Parmi les personnes empressées à le condamner se trouvait Mrs. Bennet. L’antipathie générale tournait chez elle en rancune personnelle, Mr. Darcy ayant fait affront à l’une de ses filles. Par suite du nombre restreint des cavaliers, Elizabeth Bennet avait dû rester sur sa chaise l’espace de deux danses, et, pendant un moment, Mr. Darcy s’était tenu debout assez près d’elle pour qu’elle pût entendre les paroles qu’il échangeait avec Mr. Bingley venu pour le presser de se joindre aux danseurs.

– Allons, Darcy, venez danser. Je suis agacé de vous voir vous promener seul. C’est tout à fait ridicule. Faites comme tout le monde et dansez.

– Non, merci ! La danse est pour moi sans charmes à moins que je ne connaisse particulièrement une danseuse. Je n’y prendrais aucun plaisir dans une réunion de ce genre. Vos sœurs ne sont pas libres et ce serait pour moi une pénitence que d’inviter quelqu’un d’autre.

– Vous êtes vraiment difficile ! s’écria Bingley. Je déclare que je n’ai jamais vu dans une soirée tant de jeunes filles aimables. Quelques-unes même, vous en conviendrez, sont remarquablement jolies.

– Votre danseuse est la seule jolie personne de la réunion, dit Mr. Darcy en désignant du regard l’aînée des demoiselles Bennet.

– Oh ! c’est la plus charmante créature que j’aie jamais rencontrée ; mais il y a une de ses sœurs assise derrière vous qui est aussi fort agréable. Laissez-moi demander à ma danseuse de vous présenter.

– De qui voulez-vous parler ? – Mr. Darcy se retourna et considéra un instant Elizabeth. Rencontrant son regard, il détourna le sien et déclara froidement.

– Elle est passable, mais pas assez jolie pour me décider à l’inviter. Du reste je ne me sens pas en humeur, ce soir, de m’occuper des demoiselles qui font tapisserie. Retournez vite à votre souriante partenaire, vous perdez votre temps avec moi.

Mr. Bingley suivit ce conseil et Mr. Darcy s’éloigna, laissant Elizabeth animée à son égard de sentiments très peu cordiaux. Néanmoins elle raconta l’histoire à ses amies avec beaucoup de verve, car elle avait l’esprit fin et un sens très vif de l’humour.

Malgré tout, ce fut, dans l’ensemble, une agréable soirée pour tout le monde. Le cœur de Mrs. Bennet était tout réjoui de voir sa fille aînée distinguée par les habitants de Netherfield. Mr. Bingley avait dansé deux fois avec elle et ses sœurs lui avaient fait des avances. Jane était aussi satisfaite que sa mère, mais avec plus de calme. Elizabeth était contente du plaisir de Jane ; Mary était fière d’avoir été présentée à miss Bingley comme la jeune fille la plus cultivée du pays, et Catherine et Lydia n’avaient pas manqué une seule danse, ce qui, à leur âge, suffisait à combler tous leurs vœux.

Elles revinrent donc toutes de très bonne humeur à Longbourn, le petit village dont les Bennet étaient les principaux habitants. Mr. Bennet était encore debout ; avec un livre il ne sentait jamais le temps passer et, pour une fois, il était assez curieux d’entendre le compte rendu d’une soirée qui, à l’avance, avait fait naître tant de magnifiques espérances. Il s’attendait un peu à voir sa femme revenir désappointée, mais il s’aperçut vite qu’il n’en était rien.

– Oh ! mon cher Mr. Bennet, s’écria-t-elle en entrant dans la pièce, quelle agréable soirée, quel bal réussi ! J’aurais voulu que vous fussiez là... Jane a eu tant de succès ! tout le monde m’en a fait compliment. Mr. Bingley l’a trouvée tout à fait charmante. Il a dansé deux fois avec elle ; oui, mon ami, deux fois ! Et elle est la seule qu’il ait invitée une seconde fois. Sa première invitation a été pour miss Lucas, – j’en étais assez vexée, – mais il n’a point paru l’admirer beaucoup, ce qui n’a rien de surprenant. Puis, en voyant danser Jane, il a eu l’air charmé, a demandé qui elle était et, s’étant fait présenter, l’a invitée pour les deux danses suivantes. Après quoi il en a dansé deux avec miss King, encore deux autres avec Jane, la suivante avec Lizzy, la « boulangère » avec...

– Pour l’amour du ciel, arrêtez cette énumération, s’écria son mari impatienté. S’il avait eu pitié de moi il n’aurait pas dansé moitié autant. Que ne s’est-il tordu le pied à la première danse !

– Oh ! mon ami, continuait Mrs. Bennet, il m’a tout à fait conquise. Physiquement, il est très bien et ses sœurs sont des femmes charmantes. Je n’ai rien vu d’aussi élégant que leurs toilettes. La dentelle sur la robe de Mrs. Hurst...

Ici, nouvelle interruption, Mr. Bennet ne voulant écouter aucune description de chiffons. Sa femme fut donc obligée de changer de sujet et raconta avec beaucoup d’amertume et quelque exagération l’incident où Mr. Darcy avait montré une si choquante grossièreté.


– Mais je vous assure, conclut-elle, qu’on ne perd pas grand-chose à ne pas être appréciée par ce monsieur ! C’est un homme horriblement désagréable qui ne mérite pas qu’on cherche à lui plaire. Hautain et dédaigneux, il se promenait de droite et de gauche dans la salle avec l’air de se croire un personnage extraordinaire. J’aurais aimé que vous fussiez là pour lui dire son fait, comme vous savez le faire ! Non, en vérité, je ne puis pas le sentir.

English

IV

Table des matières

Lorsque Jane et Elizabeth se trouvèrent seules, Jane qui, jusque-là, avait mis beaucoup de réserve dans ses louanges sur Mr. Bingley, laissa voir à sa sœur la sympathie qu’il lui inspirait.

– Il a toutes les qualités qu’on apprécie chez un jeune homme, dit-elle. Il est plein de sens, de bonne humeur et d’entrain. Je n’ai jamais vu à d’autres jeunes gens des manières aussi agréables, tant d’aisance unie à une si bonne éducation.

– Et, de plus, ajouta Elizabeth, il est très joli garçon, ce qui ne gâte rien. On peut donc le déclarer parfait.

– J’ai été très flattée qu’il m’invite une seconde fois ; je ne m’attendais pas à un tel hommage.

– Moi, je n’en ai pas été surprise. C’était très naturel. Pouvait-il ne pas s’apercevoir que vous étiez infiniment plus jolie que toutes les autres danseuses ?... Il n’y a pas lieu de lui en être reconnaissante. Ceci dit, il est certainement très agréable et je vous autorise à lui accorder votre sympathie. Vous l’avez donnée à bien d’autres qui ne le valaient pas.

– Ma chère Lizzy !

– La vérité c’est que vous êtes portée à juger tout le monde avec trop de bienveillance : vous ne voyez jamais de défaut à personne. De ma vie, je ne vous ai entendue critiquer qui que ce soit.

– Je ne veux juger personne trop précipitamment, mais je dis toujours ce que je pense.

– Je le sais, et c’est ce qui m’étonne. Comment, avec votre bon sens, pouvez-vous être aussi loyalement aveuglée sur la sottise d’autrui ? Il n’y a que vous qui ayez assez de candeur pour ne voir jamais chez les gens que leur bon côté... Alors, les sœurs de ce jeune homme vous plaisent aussi ? Elles sont pourtant beaucoup moins sympathiques que lui.

– Oui, au premier abord, mais quand on cause avec elles on s’aperçoit qu’elles sont fort aimables. Miss Bingley va venir habiter avec son frère, et je serais fort surprise si nous ne trouvions en elle une agréable voisine.

Elizabeth ne répondit pas, mais elle n’était pas convaincue. L’attitude des sœurs de Mr. Bingley au bal ne lui avait pas révélé chez elles le désir de se rendre agréables à tout le monde. D’un esprit plus observateur et d’une nature moins simple que celle de Jane, n’étant pas, de plus, influencée par les attentions de ces dames, Elizabeth était moins disposée à les juger favorablement. Elle voyait en elles d’élégantes personnes, capables de se mettre en frais pour qui leur plaisait, mais, somme toute, fières et affectées.

Mrs. Hurst et miss Bingley étaient assez jolies, elles avaient été élevées dans un des meilleurs pensionnats de Londres et possédaient une fortune de vingt mille livres, mais l’habitude de dépenser sans compter et de fréquenter la haute société les portait à avoir d’elles-mêmes une excellente opinion et à juger leur prochain avec quelque dédain. Elles appartenaient à une très bonne famille du nord de l’Angleterre, chose dont elles se souvenaient plus volontiers que de l’origine de leur fortune qui avait été faite dans le commerce.

Mr. Bingley avait hérité d’environ cent mille livres de son père. Celui-ci qui souhaitait acheter un domaine n’avait pas vécu assez longtemps pour exécuter son projet. Mr. Bingley avait la même intention et ses sœurs désiraient vivement la lui voir réaliser. Bien qu’il n’eût fait que louer Netherfield, miss Bingley était toute prête à diriger sa maison, et Mrs. Hurst, qui avait épousé un homme plus fashionable que fortuné, n’était pas moins disposée à considérer la demeure de son frère comme la sienne. Il y avait à peine deux ans que Mr. Bingley avait atteint sa majorité, lorsque, par un effet du hasard, il avait entendu parler du domaine de Netherfield. Il était allé le visiter, l’avait parcouru en une demi-heure, et, le site et la maison lui plaisant, s’était décidé à louer sur-le-champ.

En dépit d’une grande opposition de caractères, Bingley et Darcy étaient unis par une solide amitié. Darcy aimait Bingley pour sa nature confiante et docile, deux dispositions pourtant si éloignées de son propre caractère. Bingley, de son côté, avait la plus grande confiance dans l’amitié de Darcy et la plus haute opinion de son jugement. Il lui était inférieur par l’intelligence, bien que lui-même n’en fût point dépourvu, mais Darcy était hautain, distant, d’une courtoisie froide et décourageante, et, à cet égard, son ami reprenait l’avantage. Partout où il paraissait, Bingley était sûr de plaire ; les manières de Darcy n’inspiraient trop souvent que de l’éloignement.

Il n’y avait qu’à les entendre parler du bal de Meryton pour juger de leurs caractères : Bingley n’avait, de sa vie, rencontré des gens plus aimables, des jeunes filles plus jolies ; tout le monde s’était montré plein d’attentions pour lui ; point de raideur ni de cérémonie ; il s’était bientôt senti en pays de connaissance : quant à miss Bennet, c’était véritablement un ange de beauté !... Mr. Darcy, au contraire, n’avait vu là qu’une collection de gens chez qui il n’avait trouvé ni élégance, ni charme ; personne ne lui avait inspiré le moindre intérêt ; personne ne lui avait marqué de sympathie ni procuré d’agrément. Il reconnaissait que miss Bennet était jolie, mais elle souriait trop.

Mrs. Hurst et sa sœur étaient de cet avis ; cependant, Jane leur plaisait ; elles déclarèrent que c’était une aimable personne avec laquelle on pouvait assurément se lier. Et leur frère se sentit autorisé par ce jugement à rêver à miss Bennet tout à sa guise.

English

V

Table des matières

À peu de distance de Longbourn vivait une famille avec laquelle les Bennet étaient particulièrement liés.

Sir William Lucas avait commencé par habiter Meryton où il se faisait une petite fortune dans les affaires lorsqu’il s’était vu élever à la dignité de « Knight » à la suite d’un discours qu’il avait adressé au roi comme maire de la ville. Cette distinction lui avait un peu tourné la tête en lui donnant le dégoût du commerce et de la vie simple de sa petite ville. Quittant l’un et l’autre, il était venu se fixer avec sa famille dans une propriété située à un mille de Meryton qui prit dès lors le nom de « Lucas Lodge ». Là, délivré du joug des affaires, il pouvait à loisir méditer sur son importance et s’appliquer à devenir l’homme le plus courtois de l’univers. Son nouveau titre l’enchantait, sans lui donner pour cela le moindre soupçon d’arrogance ; il se multipliait, au contraire, en attentions pour tout le monde. Inoffensif, bon et serviable par nature, sa présentation à Saint-James avait fait de lui un gentilhomme.

Lady Lucas était une très bonne personne à qui ses facultés moyennes permettaient de voisiner agréablement avec Mrs. Bennet. Elle avait plusieurs enfants et l’aînée, jeune fille de vingt-sept ans, intelligente et pleine de bon sens, était l’amie particulière d’Elizabeth.

Les demoiselles Lucas et les demoiselles Bennet avaient l’habitude de se réunir, après un bal, pour échanger leurs impressions. Aussi, dès le lendemain de la soirée de Meryton, on vit arriver les demoiselles Lucas à Longbourn.

– Vous avez bien commencé la soirée, Charlotte, dit Mrs. Bennet à miss Lucas avec une amabilité un peu forcée. C’est vous que Mr. Bingley a invitée la première.

– Oui, mais il a paru de beaucoup préférer la danseuse qu’il a invitée la seconde.

– Oh ! vous voulez parler de Jane parce qu’il l’a fait danser deux fois. C’est vrai, il avait l’air de l’admirer assez, et je crois même qu’il faisait plus que d’en avoir l’air... On m’a dit là-dessus quelque chose, – je ne sais plus trop quoi, – où il était question de Mr. Robinson...

– Peut-être voulez-vous dire la conversation entre Mr. Bingley et Mr. Robinson que j’ai entendue par hasard ; ne vous l’ai-je pas répétée ? Mr. Robinson lui demandait ce qu’il pensait de nos réunions de Meryton, s’il ne trouvait pas qu’il y avait beaucoup de jolies personnes parmi les danseuses et laquelle était à son gré la plus jolie. À cette question Mr. Bingley a répondu sans hésiter : « Oh ! l’aînée des demoiselles Bennet ; cela ne fait pas de doute. »

– Voyez-vous ! Eh bien ! voilà qui est parler net. Il semble en effet que... Cependant, il se peut que tout cela ne mène à rien...

– J’ai entendu cette conversation bien à propos. Je n’en dirai pas autant pour celle que vous avez surprise, Eliza, dit Charlotte. Les réflexions de Mr. Darcy sont moins gracieuses que celles de son ami. Pauvre Eliza ! s’entendre qualifier tout juste de « passable » !

– Je vous en prie, ne poussez pas Lizzy à se formaliser de cette impertinence. Ce serait un grand malheur de plaire à un homme aussi désagréable. Mrs. Long me disait hier soir qu’il était resté une demi-heure à côté d’elle sans desserrer les lèvres.

– Ne faites-vous pas erreur, maman ? dit Jane. J’ai certainement vu Mr. Darcy lui parler.

– Eh oui, parce qu’à la fin elle lui a demandé s’il se plaisait à Netherfield et force lui a été de répondre, mais il paraît qu’il avait l’air très mécontent qu’on prît la liberté de lui adresser la parole.

– Miss Bingley dit qu’il n’est jamais loquace avec les étrangers, mais que dans l’intimité c’est le plus aimable causeur.

– Je n’en crois pas un traître mot, mon enfant : s’il était si aimable, il aurait causé avec Mrs. Long. Non, je sais ce qu’il en est : Mr. Darcy, – tout le monde en convient, – est bouffi d’orgueil. Il aura su, je pense, que Mrs. Long n’a pas d’équipage et que c’est dans une voiture de louage qu’elle est venue au bal.

– Cela m’est égal qu’il n’ait pas causé avec Mrs. Long, dit Charlotte, mais j’aurais trouvé bien qu’il dansât avec Eliza.

– Une autre fois, Lizzy, dit la mère, à votre place, je refuserais de danser avec lui.

– Soyez tranquille, ma mère, je crois pouvoir vous promettre en toute sûreté que je ne danserai jamais avec lui.

– Cet orgueil, dit miss Lucas, me choque moins chez lui parce que j’y trouve des excuses. On ne peut s’étonner qu’un jeune homme aussi bien physiquement et pourvu de toutes sortes d’avantages tels que le rang et la fortune ait de lui-même une haute opinion. Il a, si je puis dire, un peu le droit d’avoir de l’orgueil.

– Sans doute, fit Elizabeth, et je lui passerais volontiers son orgueil s’il n’avait pas modifié le mien.

– L’orgueil, observa Mary qui se piquait de psychologie, est, je crois, un sentiment très répandu. La nature nous y porte et bien peu parmi nous échappent à cette complaisance que l’on nourrit pour soi-même à cause de telles ou telles qualités souvent imaginaires. La vanité et l’orgueil sont choses différentes, bien qu’on emploie souvent ces deux mots l’un pour l’autre ; on peut être orgueilleux sans être vaniteux. L’orgueil se rapporte plus à l’opinion que nous avons de nous-mêmes, la vanité à celle que nous voudrions que les autres aient de nous.


– Si j’étais aussi riche que Mr. Darcy, s’écria un jeune Lucas qui avait accompagné ses sœurs, je me moquerais bien de tout cela ! Je commencerais par avoir une meute pour la chasse au renard, et je boirais une bouteille de vin fin à chacun de mes repas.

English

VI

Table des matières

Les dames de Longbourn ne tardèrent pas à faire visite aux dames de Netherfield et celles-ci leur rendirent leur politesse suivant toutes les formes. Le charme de Jane accrut les dispositions bienveillantes de Mrs. Hurst et de miss Bingley à son égard, et tout en jugeant la mère ridicule et les plus jeunes sœurs insignifiantes, elles exprimèrent aux deux aînées le désir de faire avec elles plus ample connaissance.

Jane reçut cette marque de sympathie avec un plaisir extrême, mais Elizabeth trouva qu’il y avait toujours bien de la hauteur dans les manières de ces dames, même à l’égard de sa sœur. Décidément, elle ne les aimait point ; cependant, elle appréciait leurs avances, voulant y voir l’effet de l’admiration que leur frère éprouvait pour Jane. Cette admiration devenait plus évidente à chacune de leurs rencontres et pour Elizabeth il semblait également certain que Jane cédait de plus en plus à la sympathie qu’elle avait ressentie dès le commencement pour Mr. Bingley. Bien heureusement, pensait Elizabeth, personne ne devait s’en apercevoir. Car, à beaucoup de sensibilité Jane unissait une égalité d’humeur et une maîtrise d’elle-même qui la préservait des curiosités indiscrètes.

Elizabeth fit part de ces réflexions à miss Lucas.

– Il peut être agréable en pareil cas de tromper des indifférents, répondit Charlotte ; mais une telle réserve ne peut-elle parfois devenir un désavantage ? Si une jeune fille cache avec tant de soin sa préférence à celui qui en est l’objet, elle risque de perdre l’occasion de le fixer, et se dire ensuite que le monde n’y a rien vu est une bien mince consolation. La gratitude et la vanité jouent un tel rôle dans le développement d’une inclination qu’il n’est pas prudent de l’abandonner à elle-même. Votre sœur plaît à Bingley sans aucun doute, mais tout peut en rester là, si elle ne l’encourage pas.

– Votre conseil serait excellent, si le désir de faire un beau mariage était seul en question ; mais ce n’est pas le cas de Jane. Elle n’agit point par calcul ; elle n’est même pas encore sûre de la profondeur du sentiment qu’elle éprouve, et elle se demande sans doute si ce sentiment est raisonnable. Voilà seulement quinze jours qu’elle a fait la connaissance de Mr. Bingley : elle a bien dansé quatre fois avec lui à Meryton, l’a vu en visite à Netherfield un matin, et s’est trouvée à plusieurs dîners où lui-même était invité ; mais ce n’est pas assez pour le bien connaître.

– Allons, dit Charlotte, je fais de tout cœur des vœux pour le bonheur de Jane ; mais je crois qu’elle aurait tout autant de chances d’être heureuse, si elle épousait Mr. Bingley demain que si elle se met à étudier son caractère pendant une année entière ; car le bonheur en ménage est pure affaire de hasard. La félicité de deux époux ne m’apparaît pas devoir être plus grande du fait qu’ils se connaissaient à fond avant leur mariage ; cela n’empêche pas les divergences de naître ensuite et de provoquer les inévitables déceptions. Mieux vaut, à mon avis, ignorer le plus possible les défauts de celui qui partagera votre existence !

– Vous m’amusez, Charlotte ; mais ce n’est pas sérieux, n’est-ce pas ? Non, et vous-même n’agiriez pas ainsi.

Tandis qu’elle observait ainsi Mr. Bingley, Elizabeth était bien loin de soupçonner qu’elle commençait elle-même à attirer l’attention de son ami. Mr. Darcy avait refusé tout d’abord de la trouver jolie. Il l’avait regardée avec indifférence au bal de Meryton et ne s’était occupé d’elle ensuite que pour la critiquer. Mais à peine avait-il convaincu son entourage du manque de beauté de la jeune fille qu’il s’aperçut que ses grands yeux sombres donnaient à sa physionomie une expression singulièrement intelligente. D’autres découvertes suivirent, aussi mortifiantes : il dut reconnaître à Elizabeth une silhouette fine et gracieuse et, lui qui avait déclaré que ses manières n’étaient pas celles de la haute société, il se sentit séduit par leur charme tout spécial fait de naturel et de gaieté.

De tout ceci Elizabeth était loin de se douter. Pour elle, Mr. Darcy était seulement quelqu’un qui ne cherchait jamais à se rendre agréable et qui ne l’avait pas jugée assez jolie pour la faire danser.

Mr. Darcy éprouva bientôt le désir de la mieux connaître, mais avant de se décider à entrer en conversation avec elle, il commença par l’écouter lorsqu’elle causait avec ses amies. Ce fut chez sir William Lucas où une nombreuse société se trouvait réunie que cette manœuvre éveilla pour la première fois l’attention d’Elizabeth.

– Je voudrais bien savoir, dit-elle à Charlotte, pourquoi Mr. Darcy prenait tout à l’heure un si vif intérêt à ce que je disais au colonel Forster.

– Lui seul pourrait vous le dire.

– S’il recommence, je lui montrerai que je m’en aperçois. Je n’aime pas son air ironique. Si je ne lui sers pas bientôt une impertinence de ma façon, vous verrez qu’il finira par m’intimider !

Et comme, peu après, Mr. Darcy s’approchait des deux jeunes filles sans manifester l’intention de leur adresser la parole, miss Lucas mit son amie au défi d’exécuter sa menace. Ainsi provoquée, Elizabeth se tourna vers le nouveau venu et dit :

– N’êtes-vous pas d’avis, Mr. Darcy, que je m’exprimais tout à l’heure avec beaucoup d’éloquence lorsque je tourmentais le colonel Forster pour qu’il donne un bal à Meryton ?

– Avec une grande éloquence. Mais, c’est là un sujet qui en donne toujours aux jeunes filles.

– Vous êtes sévère pour nous.

– Et maintenant, je vais la tourmenter à son tour, intervint miss Lucas. Eliza, j’ouvre le piano et vous savez ce que cela veut dire...

– Quelle singulière amie vous êtes de vouloir me faire jouer et chanter en public ! Je vous en serais reconnaissante si j’avais des prétentions d’artiste, mais, pour l’instant, je préférerais me taire devant un auditoire habitué à entendre les plus célèbres virtuoses.

Puis, comme miss Lucas insistait, elle ajouta :

– C’est bien ; puisqu’il le faut, je m’exécute.

Le talent d’Elizabeth était agréable sans plus. Quand elle eut chanté un ou deux morceaux, avant même qu’elle eût pu répondre aux instances de ceux qui lui en demandaient un autre, sa sœur Mary, toujours impatiente de se produire, la remplaça au piano.

Mary, la seule des demoiselles Bennet qui ne fût pas jolie, se donnait beaucoup de peine pour perfectionner son éducation. Malheureusement, la vanité qui animait son ardeur au travail lui donnait en même temps un air pédant et satisfait qui aurait gâté un talent plus grand que le sien. Elizabeth jouait beaucoup moins bien que Mary, mais, simple et naturelle, on l’avait écoutée avec plus de plaisir que sa sœur. À la fin d’un interminable concerto, Mary fut heureuse d’obtenir quelques bravos en jouant des airs écossais réclamés par ses plus jeunes sœurs qui se mirent à danser à l’autre bout du salon avec deux ou trois officiers et quelques membres de la famille Lucas.

Non loin de là, Mr. Darcy regardait les danseurs avec désapprobation, ne comprenant pas qu’on pût ainsi passer toute une soirée sans réserver un moment pour la conversation ; il fut soudain tiré de ses réflexions par la voix de sir William Lucas :

– Quel joli divertissement pour la jeunesse que la danse, Mr. Darcy ! À mon avis, c’est le plaisir le plus raffiné des sociétés civilisées.

– Certainement, monsieur, et il a l’avantage d’être également en faveur parmi les sociétés les moins civilisées : tous les sauvages dansent.

Sir William se contenta de sourire.

– Votre ami danse dans la perfection, continua-t-il au bout d’un instant en voyant Bingley se joindre au groupe des danseurs. Je ne doute pas que vous-même, Mr. Darcy, vous n’excelliez dans cet art. Dansez-vous souvent à la cour ?

– Jamais, monsieur.

– Ce noble lieu mériterait pourtant cet hommage de votre part.

– C’est un hommage que je me dispense toujours de rendre lorsque je puis m’en dispenser.

– Vous avez un hôtel à Londres, m’a-t-on dit ?

Mr. Darcy s’inclina, mais ne répondit rien.

– J’ai eu jadis des velléités de m’y fixer moi-même car j’aurais aimé vivre dans un monde cultivé, mais j’ai craint que l’air de la ville ne fût contraire à la santé de lady Lucas.

Ces confidences restèrent encore sans réponse. Voyant alors Elizabeth qui venait de leur côté, sir William eut une idée qui lui sembla des plus galantes.

– Comment ! ma chère miss Eliza, vous ne dansez pas ? s’exclama-t-il. Mr. Darcy, laissez-moi vous présenter cette jeune fille comme une danseuse remarquable. Devant tant de beauté et de charme, je suis certain que vous ne vous déroberez pas.

Et, saisissant la main d’Elizabeth, il allait la placer dans celle de Mr. Darcy qui, tout étonné, l’aurait cependant prise volontiers, lorsque la jeune fille la retira brusquement en disant d’un ton vif :

– En vérité, monsieur, je n’ai pas la moindre envie de danser et je vous prie de croire que je ne venais point de ce côté quêter un cavalier.

Avec courtoisie Mr. Darcy insista pour qu’elle consentît à lui donner la main, mais ce fut en vain. La décision d’Elizabeth était irrévocable et sir William lui-même ne put l’en faire revenir.

– Vous dansez si bien, miss Eliza, qu’il est cruel de me priver du plaisir de vous regarder, et Mr. Darcy, bien qu’il apprécie peu ce passe-temps, était certainement tout prêt à me donner cette satisfaction pendant une demi-heure.

Elizabeth sourit d’un air moqueur et s’éloigna. Son refus ne lui avait point fait tort auprès de Mr. Darcy, et il pensait à elle avec une certaine complaisance lorsqu’il se vit interpeller par miss Bingley.

– Je devine le sujet de vos méditations, dit-elle.

– En êtes-vous sûre ?

– Vous songez certainement qu’il vous serait bien désagréable de passer beaucoup de soirées dans le genre de celle-ci. C’est aussi mon avis. Dieu ! que ces gens sont insignifiants, vulgaires et prétentieux ! Je donnerais beaucoup pour vous entendre dire ce que vous pensez d’eux.

– Vous vous trompez tout à fait ; mes réflexions étaient d’une nature beaucoup plus agréable : je songeais seulement au grand plaisir que peuvent donner deux beaux yeux dans le visage d’une jolie femme.

Miss Bingley le regarda fixement en lui demandant quelle personne pouvait lui inspirer ce genre de réflexion.

– Miss Elizabeth Bennet, répondit Mr. Darcy sans sourciller.

– Miss Elizabeth Bennet ! répéta miss Bingley. Je n’en reviens pas. Depuis combien de temps occupe-t-elle ainsi vos pensées, et quand faudra-t-il que je vous présente mes vœux de bonheur ?

– Voilà bien la question que j’attendais. L’imagination des femmes court vite et saute en un clin d’œil de l’admiration à l’amour et de l’amour au mariage. J’étais sûr que vous alliez m’offrir vos félicitations.

– Oh ! si vous le prenez ainsi, je considère la chose comme faite. Vous aurez en vérité une délicieuse belle-mère et qui vous tiendra sans doute souvent compagnie à Pemberley.

Mr. Darcy écouta ces plaisanteries avec la plus parfaite indifférence et, rassurée par son air impassible, miss Bingley donna libre cours à sa verve moqueuse.

English

VII

Table des matières

La fortune de Mr. Bennet consistait presque tout entière en un domaine d’un revenu de 2000 livres mais qui, malheureusement pour ses filles, devait, à défaut d’héritier mâle, revenir à un cousin éloigné. L’avoir de leur mère, bien qu’appréciable, ne pouvait compenser une telle perte. Mrs. Bennet, qui était la fille d’un avoué de Meryton, avait hérité de son père 4000 livres ; elle avait une sœur mariée à un Mr. Philips, ancien clerc et successeur de son père, et un frère honorablement établi à Londres dans le commerce.

Le village de Longbourn n’était qu’à un mille de Meryton, distance commode pour les jeunes filles qui, trois ou quatre fois par semaine, éprouvaient l’envie d’aller présenter leurs devoirs à leur tante ainsi qu’à la modiste qui lui faisait face de l’autre côté de la rue. Les deux benjamines, d’esprit plus frivole que leurs aînées, mettaient à rendre ces visites un empressement particulier. Quand il n’y avait rien de mieux à faire, une promenade à Meryton occupait leur matinée et fournissait un sujet de conversation pour la soirée. Si peu fertile que fût le pays en événements extraordinaires, elles arrivaient toujours à glaner quelques nouvelles chez leur tante.

Actuellement elles étaient comblées de joie par la récente arrivée dans le voisinage d’un régiment de la milice. Il devait y cantonner tout l’hiver et Meryton était le quartier général. Les visites à Mrs. Philips étaient maintenant fécondes en informations du plus haut intérêt, chaque jour ajoutait quelque chose à ce que l’on savait sur les officiers, leurs noms, leurs familles, et bientôt l’on fit connaissance avec les officiers eux-mêmes. Mr. Philips leur fit visite à tous, ouvrant ainsi à ses nièces une source de félicité inconnue jusqu’alors. Du coup, elles ne parlèrent plus que des officiers, et la grande fortune de Mr. Bingley dont l’idée seule faisait vibrer l’imagination de leur mère n’était rien pour elles, comparée à l’uniforme rouge d’un sous-lieutenant.

Un matin, après avoir écouté leur conversation sur cet inépuisable sujet, Mr. Bennet observa froidement :

– Tout ce que vous me dites me fait penser que vous êtes deux des filles les plus sottes de la région. Je m’en doutais depuis quelque temps, mais aujourd’hui, j’en suis convaincu.

Catherine déconcertée ne souffla mot, mais Lydia, avec une parfaite indifférence, continua d’exprimer son admiration pour le capitaine Carter et l’espoir de le voir le jour même car il partait le lendemain pour Londres.

– Je suis surprise, mon ami, intervint Mrs. Bennet, de vous entendre déprécier vos filles aussi facilement. Si j’étais en humeur de critique, ce n’est pas à mes propres enfants que je m’attaquerais.

– Si mes filles sont sottes, j’espère bien être capable de m’en rendre compte.

– Oui, mais il se trouve au contraire qu’elles sont toutes fort intelligentes.

– Voilà le seul point, – et je m’en flatte, – sur lequel nous sommes en désaccord. Je voulais croire que vos sentiments et les miens coïncidaient en toute chose mais je dois reconnaître qu’ils diffèrent en ce qui concerne nos deux plus jeunes filles que je trouve remarquablement niaises.

– Mon cher Mr. Bennet, vous ne pouvez vous attendre à trouver chez ces enfants le jugement de leur père et de leur mère. Lorsqu’elles auront notre âge, j’ose dire qu’elles ne penseront pas plus aux militaires que nous n’y pensons nous-mêmes. Je me rappelle le temps où j’avais aussi l’amour de l’uniforme ; – à dire vrai je le garde toujours au fond du cœur et si un jeune et élégant colonel pourvu de cinq ou six mille livres de rentes désirait la main d’une de mes filles, ce n’est pas moi qui le découragerais. L’autre soir, chez sir William, j’ai trouvé que le colonel Forster avait vraiment belle mine en uniforme.

– Maman, s’écria Lydia, ma tante dit que le colonel Forster et le capitaine Carter ne vont plus aussi souvent chez miss Watson et qu’elle les voit maintenant faire de fréquentes visites à la librairie Clarke.

La conversation fut interrompue par l’entrée du valet de chambre qui apportait une lettre adressée à Jane. Elle venait de Netherfield et un domestique attendait la réponse.

Les yeux de Mrs. Bennet étincelèrent de plaisir et, pendant que sa fille lisait, elle la pressait de questions :